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Pourquoi la guerre des talents n’aura pas lieu !

Né avec la crise. 

Toute une génération devait voir fleurirent des opportunités inédites d’emploi. Nous devions dire merci aux baby-boomers décidés à partir massivement à la retraite. Le point de bascule démographique était 2010. Et puis pschiiit ! Plus rien ou si peu. La crise. Encore la crise.

Avec 26,2 millions de demandeurs d’emploi en Europe en 2014, la guerre des talents se transforme en machine à déclasser. Elle fabrique des personnes qualifiées sous payées et des exclus chroniques. Alors, la guerre des talents annoncée depuis l’an 2000 est-elle la plus grosse arnaque statistique ? Sommes-nous les témoins persistants de la grande illusion de la guerre des talents ?

Voici 6 arguments dignes de Cassandre pour vous casser un mythe socio-économique.

#1 – Le nouvel ordre économique mondial

Les départs en retraite des baby boomers cachent des emplois qui disparaissent ! Aux lentes évolutions démographiques se confondent les mutations économiques et techniques.

a- Au niveau macroéconomique

Les rationalisations, les délocalisations et les changements de modèles d’affaires au niveau international continueront de détruire des emplois substituables par une force de travail meilleure marché ou plus flexible.

L’ère post-industrielle prendra 40 ans pour s’éteindre dans les pays occidentaux. Débutée dans les années 90, elle devrait terminer son cycle au milieu des années 2020. Les mutations industrielles créent un chômage frictionnel. Les zones économiques à dominantes industrielles et rurales sont particulièrement touchées.

Mais attention, les emplois de services sont aussi touchés. L’ère des services entre aussi dans une révolution. La révolution numérique. Songez aux centres d’appels, à la programmation informatique et aux services de concierges en Inde, aux services d’édition graphique en Afrique, aux services de prothèses dentaires faites en Chine ou même à certaines chirurgies proposées avec un voyage sous le soleil du Maghreb. Comme le décrit bien Thomas Friedman, éditorialiste au New-York Times, La terre est plate, histoire du 21ème siècles (2006), la conjugaison de la concurrence mondialisée et des nouvelles technologies change le centre de gravité des puissances économiques. Elle transforme la terre en une immense chaine d’approvisionnement mondiale. Quelle place occuperons-nous ?

En dehors des emplois domestiques encore protégés, la quasi totalité des emplois de type cols blancs, répétitifs, sans valeur ajoutée disparaîtront.

b- Au niveau financier

Les poids des dettes publiques et personnelles des pays occidentaux font peser sur les générations une charge inédite. Avec une faible croissance, le poids ne fait que grandir. Pour financer hôpitaux, routes, écoles, palais de justice et maison de retraites des aînés, les actifs devront travailler efficacement et longtemps. Pour payer leurs études, la santé, le logement ou les loisirs, les travailleurs devront aussi serrer leur budget et faire des calculs économiques différents de leurs aînés. On voit donc apparaître des travailleurs pauvres, des employés hautement qualifiés qui alternent périodes de chômage avec des emplois et des classes sociales moyennes avec un pouvoir d’achat moindre que leurs aînés. Devant des contraintes économiques et fiscales plus grandes, la consommation et l’épargne seront affectées. Pas de conso, moins d’emploi !

La nouvelle rationalité des agents économiques nous pose des questions : rester ou partir, payer ou s’enrichir, stagner ou s’épanouir. Où et Comment ?

#2 – Le nouveau paradigme techno-productif

Pour créer des nouveaux emplois, il faudra en détruire ! Mais pour compenser les départs en retraite, la productivité réduit le besoin de remplacement d’un retraité par un autre employé.

Au niveau productif et compétitif, la révolution numérique est à l’œuvre depuis vingt ans. Après les robots programmables, voici le temps des usines connectées hautement flexibles utilisant les flux de données en temps réels pour optimiser les paramètres de production. Lieu d’assemblage, les usines deviennent aussi des lieux de co-création avec les partenaires fournisseurs pour intégrer des innovations.

L’ère numérique nous promet de grands bouleversements, des innovations et beaucoup de nouveaux emplois qualifiés. Mais avant, il va créer le chaos !

a- La désintermédiation

La désintermédiation est un phénomène économique et commercial profond qui vise la réduction ou la suppression des intermédiaires dans un circuit de distribution. L’Internet assure l’interface directe entre le producteur et le consommateur. La vente de musique, de livres, de billets de transport ou de séjour touristiques coupent les circuits traditionnels et repositionnent de nouveaux acteurs dans le marché.

L’exemple du moment c’est l’imprimante 3D. Championne de la désintermédiation. Elle est décrite comme la prochaine révolution productive. Dites-vous qu’il y eu la vapeur, l’électricité, le téléphone, la micro-informatique et l’impression 3D ! Pourquoi est-elle une révolution ? Nous devenons tous des producteurs de nos objets. Les fichiers sources peuvent être partagés, gratuits, co-créés, améliorés collectivement (voir démo vidéo ici). A ce sujet, je vous invite à lire le livre de Chris Anderson « Makers, the next industrial revolution » (2012). Il y décrit toutes les nouvelles formes de productions et d’intelligences collectives à l’origine d’un changement de paradigme productif. Il sera possible demain de produire localement ou chez soi vos montures de lunettes par exemple.

b- L’algorithmie et la robotisation

Tous les emplois dont les tâches sont modélisables par un algorithme sont menacés à très brève échéance. Oui, oui, je n’exagère pas. Un exemple frappant. Le super calculateur Watson d’IBM peut apprendre à diagnostiquer une maladie en comparant des millions de données de dossiers médicaux en quelques minutes. Son diagnostic pourra être plus précis que celui d’un humain si toutes les données utilisées sont bien croisées. Donc, même un médecin sera technologiquement substituable. Les tâches de type heuristique créatrice de connaissances, de créativité, de culture et de relations sont pour l’instant à demi épargnées. Avec l’intelligence artificielle, les applications intelligentes supprimeront les opérations de bases et les métiers à faible spécialisation.

Quant aux robots, Nao le petit robot domestique français ou WildCat le robot compétitif de Boston Dynamics (racheté par Google en Février 2014), sont les exemples parfait des usages imminents : chirurgie, soins à domiciles, livraisons et manutentions, etc. Leur coût limite encore leur usage. Maisl ils transformeront notre vie et nos emplois.

c- La rationalisation et la convergence

Le Lean Manufacturing, l’automation des services, Le Cloud Computing visent à rendre les systèmes efficaces et ajustables. Toutes les nations ne sont pas aussi productives qu’elles le devraient pour créer de la performance et de la richesse nationale. Beaucoup d’entreprises découvrent tout juste le eCommerce et les technologies CRM, ERP et les services web en mode Saas.  Quelle est la perte de revenus liés à l’inertie des changements technologiques ? Immense.

L’Internet des objets ou le web 3.0 mettent en relation tout ce qui est connecté. On parle aussi de Technologies « Social Mobile Analytics & Cloud » ou « SMAC« . L’immense gisement de données permettra d’ajuster parfaitement les ressources à utiliser, d’anticiper les besoins, les flux, les commandes, les habitudes d’achats et de donner de l’information utile à chacun pour devancer ses besoins et désirs. Les acteurs économiques qui ne seront pas impliqués dans cette chaine de valeur devront avoir un produit ou un service unique pour subsister (produit du terroir, art, brevet de fabrication, etc.). Les emplois associés à ces acteurs économiques disparaîtront ou perdront de la valeur (baisse des salaires).

L’enjeu ici n’est pas de rejeter la révolution numérique et l’ère de l’information. L’enjeu est d’accélérer la transformation numérique pour prendre un avantage concurrentiel. L’enjeu est d’avoir le leadership digital d’entreprendre pour apprendre et réinventer les emplois de demain.

#3 – Les bassins de main d’œuvre inexploités

Au niveau démographique, le nombre d’actifs des pays vieillissants demeurera stable pour encore longtemps !

a- Le désengagement

En octobre 2013, la nouvelle a fait l’effet d’une bombe ! La firme de sondage Gallup publiait le chiffre suivant  totalement hallucinant: seulement 13% de la population active dans 142 pays se dit engagée ! Méchant défi pour les entreprises. Quand on sait qu’un analyste financier, un technicien en architecture ou un professeur produisent un travail de conception et de prescription, leur désengagement laisse place à de grands gains de productivité et d’innovations. Voilà un formidable gisement de ressources mal utilisées.

b- La promotion des Gen « U »

La « Gen U » pour « Generation UnderUmployed« , c’est la génération des déclassés. Ceux qui ont quitté le système scolaire trop tôt ou ceux qui ont cru au pouvoir de l’ascenseur social par l’éducation mais qui se retrouvent avec un emploi peu qualifié ou peu rémunérateur. Cette génération d’individus nés entre 1969 et 1989 est sous-utilisée professionnellement, endettée et a perdu des années dans les méandres d’emplois peu qualifiés et de période de chômage. En recrutant par les aptitudes et par la personnalité plus que par le CV, ces employés potentiels pourraient rebondir et exploiter leur plein potentiel, si on leur donne leur chance. Une vague d’espoir et d’épanouissement personnel et social au service de la croissance !

c- Le prolongement des fins de carrière

Les travailleurs de 65 ans qui partent à la retraite font de nouveaux calculs économiques. Ils voient l’allongement de leur espérance de vie et une nette hausse de la qualité de vie des seniors. Rester en emploi leur assure une place dans la société. Ils maintiennent leur vitalité et ils se garantissent des revenus supplémentaires. De chef comptable, notre retraité devient consultant en fiscalité, professeur en comptabilité ou s’offre un emploi à temps partiel dans un petite entreprise. Les départs en retraite ne sont plus de nos jours un retrait de la vie active mais une implication professionnelle choisie. Certains emplois trouvent donc des travailleurs expérimentés, disponibles, flexibles et parfois bon marché. L’effet mécanique des départs à la retraite n’est donc pas garantie comme il l’était avec les retraités des années 80 et 90.

d- L’emploi féminin

Si le taux d’emploi des femmes dans les pays occidentaux est à son plus haut niveau, il reste inférieur à celui des hommes et les questions des responsabilités confiées aux femmes et de l’égalité hommes-femmes des rémunérations restent posées.

e- L’immigration

L’immigration offre une variable d’ajustement efficace en cas de pénurie de main d’œuvre. A condition qu’elle s’inscrive dans un projet de société avec des modalités d’accueil et d’adaptation au marché de l’emploi et à la société.

f- La diversité

Les inégalités d’accès à l’emploi demeurent pour les handicapés, les minorités visibles et les parcours atypiques. Les programmes de recrutement doivent exprimer de vraies besoins et intentions de recrutement et modifier les perceptions limitantes des employés. Ces gisements de ressources envoient un message positif dans la société.

#4 – Les employeurs habitués à recruter des candidats « Prêt à travailler« 

En matière de besoins en recrutement, les entreprises continuent à recruter des candidats « Plug And Play ». Leur rôle devraient pourtant être des lieux d’apprentissage. 

Comme le dit Peter Cappeli, Économiste au Centre pour les Ressources Humaines de la Wharton School et auteur célèbre en RH du livre Talent On Demand, « La seule preuve d’une pénurie de compétences est l’employeur qui dit – J’ai un problème –« 

Les 4 maux hérités des années 1970 à 2000 :

♦ Le système éducatif n’assure plus l’avenir professionnel des travailleurs. ♦ Les méthodes de recrutement sont toujours basées sur les critères de l’expérience ou les critères scolaires. ♦ Les profils de compétences sont des combinaisons rares de compétences. ♦ Le recrutement « clé en main » est difficile et délicat alors que former coûte moins cher !

On voit toutefois émerger une démocratisation de l’accès aux contenus de formation avec des sites d’apprentissage ouverts, des incubateurs, des campus, des pépinières d’entreprises ou des MOOC. Les parcours de carrières pourront plus facilement alterner travail et études et ainsi déborder le modèle traditionnel d’enseignement et de formation en entreprise.

#5 – Les nouvelles carrières à découvrir

Au niveau individuel, l’illisibilité des nouveaux métiers et des nouveaux emplois rend impossible la projection vocationnelle. En revanche, les nouvelles méthodes de travail peuvent redistribuer les talents.

a- Des carrières aux contours flous

Il est bien difficile pour un jeune d’imaginer quels métiers existent et lesquels existeront demain.  Les nouveaux emplois portent des titres génériques alors que les tâches sont ultra-pointues. La moitié des emplois d’aujourd’hui n’existaient pas il y a dix ans. L’émergence de nouveaux métiers et la transformation d’autres plus traditionnels masque l’adéquation possible entre une personne, un projet de carrière et un poste à combler. Pour autant, certains peuvent se faufiler et trouver de nouveaux chemins individuels vers ses emplois. Souvent par hasard.

b- Les talents crowdsourcés et le télétravail

Le métier d’avocat, d’enseignant, de concepteur graphique ou de traducteur peut se réaliser en grande partie à distance. Avec les plateformes de mise en relation de travailleurs autonomes, d’employés et de recruteurs, les places de marchés comblent plus rapidement les besoins. La mise en adéquation des talents et des emplois se fait plus facilement.

c- L’émergence de l’entrepreneuriat

On assiste à la fin de la croissance de l’emploi salarié. Les grandes entreprises n’attirent plus autant. Les jeunes, ouverts sur les nouvelles technologies ou le commerce veulent se lancer pour créer leur emploi. Répondant aux besoins de flexibilité et d’expertise, le modèle entrepreneurial défend l’idée d’un agent économique responsable et autonome quand à sa prise en charge et son professionnalisme.

#6 – Le développement accéléré des talents comble les besoins

Au niveau institutionnel et organisationnel, la pénurie poussera les décideurs à investir dans l’éducation pour créer l’approvisionnement adéquat au lieu de le chercher. Avant de connaître la pénurie, il faudra réellement épuiser les gisements.

a- Changer de paradigme

Pour sécuriser les talents nécessaires aux opérations, à la croissance et à l’innovation, les PDG doivent transformer leur entreprise en attracteur, en formateur de nouveaux talents et en agent de fidélisation. L’étude 2014 de PWc Booz Allen concernant les enjeux des CEO (page 26) le confirme. Les préoccupations des grands patrons pour alimenter le pipeline de talents est grandissante.  Devant les manques à gagner de projets et de contrats non réalisés, les entreprises réagiront en entrant l’équation des coûts de formation et de développement des talents et du leadership. Recruter est difficile, former coûte moins cher.

b- Développer les talents, un vrai attracteur

Quand les organisations prendront en main le développement des compétences en situation d’emploi « On-The-Job-Training », il sera possible de raccourcir le temps de cycle d’adaptation de la main d’œuvre aux réalités des entreprises. Comme cela se faisait dans le temps des entreprises artisanales, les employés étaient embauchés pour être formés. La patronage et le parrainage avaient du bon. Avec les nouvelles technologies, il est possible de créer des écoles virtuelles, de créer des communautés d’apprentissage, de filmer et d’évaluer à distance, d’encadrer et de coacher en ligne.

La pénurie de talents, un paradoxe persistent.

Plus qu’une pénurie de main d’œuvre, on assiste à une pénurie de compétences dans un marché imparfait et en mutation.

Le terme Guerre des talents est donc bien le point de vue d’organisations de pointes, d’organisations peu attractives ou d’organisation sans stratégie de formation des talents et de la relève le plus souvent coupées de leur écosystèmes. Déresponsabilisées depuis des années sur la question de l’employabilité, de la formation des jeunes, de l’intégration de certaines catégories de travailleurs atypiques, elles utilisent le terme guerre des talents en faisant un constat de disponibilité de ressources mais sans toujours penser à leur rôle dans la préparation de ces ressources.

Certes les délais pour recruter certains employés s’allongent considérablement dans les secteurs technologiques, les métiers de l’artisanat et le commerce. Ces métiers en tension ne trouvent pas preneurs. Mais à qui la faute ?

Aux États-Unis, ce sont plus de 4 millions d’emploi début 2014 qui ne trouvent pas preneurs selon l’article du magazine Inc. La conclusion est pourtant sans appel, ces 4 millions d’emplois vacants sont dus aux mutations socio-eco-technologiques et non à une difficulté à trouver des personnes pour travailler (sauf dans quelques secteurs et quelques centres urbains).

♦ Le marché de l’emploi est imparfait (au sens économique classique). Il est certes un peu plus transparent avec le web mais très imparfait. ♦ Le marché de l’emploi est d’une grande inertie face aux mutations profondes et rapides de l’économie et des systèmes productifs. ♦ Le marché de l’emploi est ultra segmenté et rendu rigide par les entreprises et les habitudes RH. ♦ Les acteurs économiques sont irrationnels et souvent mal informés. ♦ Les acteurs économiques ne sont pas mobiles ou disponibles. ♦ Un manque de leadership pour former en lien avec les compétences du futur.

La pénurie des compétences, un défi de société.

On assiste donc à un défi pour les institutions et les organisations. Comment parler de pénurie de talents qualifiés quand une masse critique d’individus ne peuvent prétendre profiter de l’opportunité économique qui leur serait offerte ?

Avant de proclamer la guerre des talents, il faudra faire la guerre au chômage, à l’employabilité, au décrochage, à la pauvreté, au déclassement, aux inégalités d’emploi et aux freins à la promotion sociale.

1- Les institutions devront innover pour devancer les besoins.

2- Les organisations devront se responsabiliser pour former leur main d’œuvre et les fidéliser.

3- Les individus peuvent aussi bénéficier de sauts technologiques et d’accélérateurs de développement de leur employabilité.

 

Vous n’êtes pas d’accord ?

Vous demeurez positifs sur les chances offertes à tous par la guerre des talents.

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