Le recrutement est un processus humain, imparfait.
Les biais cognitifs des recruteurs sont à l’œuvre tous les jours. Ils trompent leur perception, leur jugement et leur décision. L’Homo Sapiens reste un animal manquant de rationalité aussi longtemps qu’il l’ignore. Toute l’artillerie technologique et les processus savants sont souvent ruinés par ces biais cognitifs à l’œuvre dans nos processus mentaux. Dans un monde plus complexe et plus ambigu, la pensée exige pourtant clarté et intégrité.
Voici les 12 biais cognitifs les plus importants que tout recruteur devrait savoir déjouer.
A- Les biais en entrevue
#1- Le biais d’association (positif ou négatif) ou de généralisation excessive :
Considérer certaines informations comme favorables ou défavorables et suffisantes pour prendre une décision. « Il a changé deux fois d’entreprise en trois ans, il est instable. On devrait s’en méfier« . « C’est une jolie fille, elle passera bien dans notre équipe« .
#2- Le biais de confirmation ou effet de halo :
Considérer uniquement certaines informations en entrevue qui valident la perception acquise à la lecture de certains critères antérieurs. « Elle est très orientée vers l’action. Déjà au téléphone, j’ai noté son sens de l’initiative. C’est cela que je recherche ». « Son CV montre qu’il est instable. Il dit qu’il aime les nouveaux défis. Sûrement, il restera pas longtemps chez nous ».
#3- Le biais d’autorité :
Retenir un seul critère comme gage de qualité d’une décision selon l’expérience du recruteur. « Il a travaillé 4 ans pour cette compagnie. Il faut être bon pour durer dans cette entreprise à ce poste« .
#4- L’illusion de savoir :
Faire référence à une pseudo-science pour prendre ses décisions. « Les candidats qui regardent à gauche avant de répondre ne sont pas sûrs de leurs réponses. Je l’ai appris en cours de PNL et c’est vrai, j’ai pu le vérifier plusieurs fois ».
#5- L’effet d’ancrage mental. C’est la première impression qui compte !
Maintenir les informations perçues au début de la relation comme vraies et suffisantes pour prendre sa décision. « La candidate est arrivée en retard et n’avait pas noté l’adresse. Quel manque d’organisation! Avec elle, on risque la désorganisation« .
#6- Le biais de cadrage :
Communiquer des indicateurs de préférence pour lequel le candidat orientera ses réponses en fonction du cadre de référence attendu. Le candidat sera ainsi tenter de ne révéler que la partie de son profil de personnalité, de ses intérêts, de ses valeurs et de son potentiel en lien avec ce cadre établit par le recruteur. « Il m’a donné les réponses que je voulais entendre ».
B- Les biais lors de la décision
#7- Le biais de surconfiance :
Considérer ses réussites antérieures en recrutement et son jugement comme seule garantie d’une analyse pertinente. « Les bons vendeurs, je les reconnais immédiatement« .
#8- Le biais de complaisance ou de sévérité :
Démontrer de la tolérance ou de l’intolérance vis-à-vis de certains comportements et de certaines informations. Chacun de nous avons une prédominance pour faire confiance ou se méfier, pour exiger ou pour éprouver de l’empathie.
#9- Le biais culturel :
Favoriser la proximité culturelle comme une meilleure valeur prédictive. On ne fait confiance qu’à ce qui nous ressemble, c’est bien connu. Les références communes rassurent. « Ce gars a fait la même école que moi. En plus, on a eu le même prof. Rien qu’à l’écouter, je le connais « . Dans un environnement recherchant à développer la diversité et à palier certains rareté de ressources, ce biais est à juguler rapidement.
#10- L’effet de contraste :
Comparer les candidats entre eux pour tenter de retenir le meilleur de tous mais pas le meilleur disponible pour le poste. Dans un marché de rareté, il est tentant de prendre le meilleur des trois candidats rencontrés, quelques soit le niveau d’adéquation des candidats.
#11- L’effet de récence :
Donner une préférence aux derniers candidats rencontrés car la mémoire donne une idée plus précise de leurs profils et de leurs attitudes. A compétence égale, les processus de recrutement favorisent souvent le dernier candidat rencontré. Surtout si le biais de contraste entre en jeu !
#12- L’effet « Group Think » ou effet de conformisme en groupe :
La prise de décision de recrutement au sein d’un comité ou jury de recrutement peut être biaisée par un consensus de groupe. Si les enjeux sont élevés, les délais courts et les décisionnaires ne questionnent pas la prise de décision, leur autorité peut induire des décisions convenues. Tout groupe homogène devrait se diversifier et se questionner sur les alternatives d’un choix.
C- Un milieu organisationnel qui favorise les biais
Un terrain décisionnel propice aux biais cognitifs est composé de plusieurs indices. En rencontrez-vous dans votre milieu de travail ? Si oui, la gestion des risques devrait vous inciter à agir avant de recevoir des plaintes.
Le manque d’introspection des deux côtés de la table de l’entrevue,
le faible niveau de connaissances et de formation continue en psychologie et sciences du comportement,
la faible ouverture à la différence, l’uniformité du milieu,
la pauvreté des questions en entrevue (question fermées),
la prédictibilité des réponses des candidats à ces questions,
l’emphase sur les compétences techniques,
la concentration décisionnelle sur un seul recruteur,
la faible maturité du groupe de référence du recruteurs pour aborder librement les émotions, les processus psychologiques internes au recruteur et les questions qu’il se pose,
l’absence de grille d’entrevue et le manque de profil de compétences relationnelles,
l’absence de prise de notes lors d’entrevue,
l’absence de critères de décision objectivés et comparé entre candidats,
la faiblesse du jugement critique et l’absence de questionnement sur le processus,
la fermeture ou absence de rétroaction des candidats et des employés suite aux entrevues, décisions et embauches.
D- A la recherche du recrutement scientifique
Pour relever les défis de notre temps, le recrutement cherche à devenir innovant. Bonne idée ! LinkedIn, Viadeo et autres SIRH visent le marché de l’emploi parfait : transparent et scientifique. Ainsi, le recrutement veut être plus attractif, plus efficace et améliorer sa fiabilité. Réduire les coûts. A peine le Big Data propose de mettre en évidence les vraies variables à l’œuvre dans les processus de recrutement que l’on redoute les erreurs des machines et des algorithmes. Mais qu’en est-il des millions de décisions prises chaque années par des RH au jugement fallacieux ?
Recruter reste infiniment subjectif, surtout aux étapes clés décisionnelles. Et si nous commencions par limiter cette subjectivité pour améliorer le recrutement ?
Voici 7 suggestions organisationnelles pour réduire les biais cognitifs :
Recruter des recruteurs expérimentés. Trop souvent les postes en recrutement sont confiés aux jeunes professionnels quand le recrutement exige expérience, jugement, négociation et sens de la communication.
Former les recruteurs et les managers. Toute personne impliquée réguliérement dans les entrevues et les décisions d’embauche devrait avoir une formation aux techniques d’entrevue, à l’analyse du comportement, aux bonnes pratiques de sélection, au jugement critique et à l’art de décider.
Implanter des processus clairs et formalisés. Ils garantissent l’équité et la transparence sur les attentes et les méthodes d’évaluation. Votre expert juridique devrait s’assurer que vos communications et vos processus sont légaux et solides.
Consulter vos fournisseurs sur les outils d’évaluation. Les questionnaires de connaissances, les questionnaires de personnalité, les simulations de comportements professionnels, les tests d’aptitudes sont nombreux et leur fiabilité variable. Pour les combiner habillement à vos processus et les exploiter avec rigueur, les experts de l’évaluation sont des alliés pour réduire l’incertitude.
Accumuler des données pour vous mesurer sur votre mesure. Les SIRH permettent des suivis de vos candidats et des entrevues. Donnez-vous un cadre méthodologique pour mesurer objectivement les candidats sur des compétences attendues. Ces données vous permettrons de les corréler avec le devenir et la performance des employés dans l’organisation. Voir base de données scientifique de SIOP (USA) ou Pratiques de recrutement et sélectivité sur le marché du travail Étude 2012 La Documentation Française.
Assurer ou solliciter une vigie sur les sciences du comportement. La psychologie, les neurosciences et les sciences de gestion fournissent beaucoup d’études de référence pour définir des pratiques fiables et scientifiques.
Fixer des règles claires de sélection que le management doit adopter. Cela les aidera à se forger une décision sur une base rationnelle. Il est éthique et sain de se questionner réguliérement la prise de décision en équipe.
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